Il existe plusieurs démonstrations de la décomposition en éléments simples. Certaines s'appuyent sur l'arithmétique des polynômes (généralisation de l'arithmétique dans $\mathbb Z$), d'autres sur des résultats d'analyse (développements de Taylor), d'autres sur de lourdes récurrences, et il y en a certainement d'autres encore que je ne connais pas.
Celle que je vous propose est basée sur l'algèbre linéaire. C'est, je pense, une des démonstrations les plus claires à comprendre pour un étudiant. Mais son défaut, si on peut parler de défaut, est qu'elle ne peut être abordée qu'après avoir vu la notion de dimension d'un espace vectoriel. C'est probablement à cause de ce "défaut" que ce n'est pas la preuve la plus répandue dans les manuels d'enseignement, ni même sur le web. En effet l'habitude de l'enseignement officiel veut que la décomposition en éléments simples soit abordée avant l'algèbre linéaire et donc rend inaccessible la preuve que je vous propose. Or de mon point de vue il est préférable parfois de repousser une preuve plutôt que d'essayer à tout prix à faire avaler quelque chose d'indigeste qui ne laissera au final que de mauvais souvenirs aux étudiants.
Dans ce qui suit je vous propose la démonstration sous deux formats. Un format vidéo commentée et un format écrit mais qui lui ne sera pas commenté. Donc si vous avez du mal à suivre la version écrite n'hésitez pas à visionner la vidéo.
Vous l'aurez compris, pour suivre cette démonstration vous devrez savoir ce qu'est un espace vectoriel avec en particulier :
On rappelle que l'espace des polynômes (formels) dans $\mathbb C$ est défini par $$\mathbb C[X]=\{a_0+a_1X+a_2X^2+\dots+a_nX^n/n\in\mathbb N,a_0,\dots,a_n\in \mathbb C\}$$ A partir de cet espace, il est possible de définir (je ne le ferai pas ici) l'espace des fractions rationnelles défini comme suit : $$\mathbb C(X)=\left\lbrace \frac{P(X)}{Q(X)}/P,Q\in\mathbb C[X],Q\neq 0_{\mathbb C[X]}\right\rbrace$$
On remarque que $\mathbb C(X)$ dispose d'une structure de $\mathbb C$ espace vectoriel, où l'addition est définie par l'addition standard des fractions $$\frac{P(X)}{Q(X)}+\frac{R(X)}{S(X)}=\frac{P(X)S(X)+R(X)Q(X)}{R(X)S(X)},$$ et d'une multiplication externe $$\forall \lambda\in\mathbb C,\lambda\frac{P(X)}{Q(X)}=\frac{\lambda P(X)}{Q(X)}$$ Bien sûr si vous avez le courage, vous pouvez vérifier que $\mathbb C(X)$ munit de ces lois vérifie les 8 axiomes que doit vérifier un espace vectoriel. Je n'ai pas le courage d'en taper la vérification!
Une fois que nous nous sommes convaincus que $\mathbb C(X)$ est un espace vectoriel, il devient donc parfaitement légitime d'utiliser toutes les techniques d'algèbre linéaire pour effectuer notre démonstration.
Rappelons rapidement l'énoncé du théorème :
Théorème : Soient $P,Q\in\mathbb C[X]$, $deg(P)<\!deg(Q)$, $deg(Q)\geq 1$ et dont la factorisation de $Q$ dans $\mathbb C$ est de la forme
$$Q(X)=c\prod_{i=1}^n(X-\alpha_i)^{m_i},$$
où $c\in\mathbb C$, $n=deg(Q)$, les $\alpha_i,\ i\in\{1,\dots,n\}$ sont les racines complexes de $Q$ de multiplicité $m_i$.
Alors il existe une unique famille de complexes $(a_{i,j})_{1\leq i\leq n,1\leq j\leq m_j}$ :
$$\frac{P(X)}{Q(X)}=\sum_{i=1}^n\sum_{j=1}^{m_i}\frac{a_{i,j}}{(X-\alpha_i)^j}.$$
Dans ce théorème on distingue deux types de fractions rationnelles. Celles qui ont pour forme $$\frac{P(X)}{Q(X)}\text{ avec }deg(P)<\!deg(Q)$$ et celles qui ont pour forme $$\sum_{i=1}^n\sum_{j=1}^{m_i}\frac{a_{i,j}}{(X-\alpha_i)^j}.$$ Plutôt que d'essayer de montrer directement que la première forme peut toujours s'écrire comme la seconde, nous allons considérer deux ensembles. Pour $Q$ fixé, le premier ensemble sera celui des fractions rationnelles de la première forme : $$E=\left\lbrace\frac{P(X)}{Q(X)}/P\in\mathbb C[X]\text{ et }deg(P)<\!deg(Q)\right\rbrace,$$ et le second ensemble celui des fractions rationnelles de la seconde forme : $$F=\left\lbrace\sum_{i=1}^n\sum_{j=1}^{m_i}\frac{a_{i,j}}{(X-\alpha_i)^j}/a_{i,j}\in\mathbb C\right\rbrace.$$
Si nous parvenons à montrer que ces deux ensembles sont égaux, alors nécessairement une fraction rationnelle de la première forme pourra toujours s'écrire comme une fraction rationnelle de la seconde forme.
Tout ce qui va suivre va consister justement à démontrer que ces deux ensembles sont égaux. Nous allons voir qu'il s'agit d'espaces vectoriels de même dimension et que l'un est inclus dans l'autre. Par un argument classique d'algèbre linéaire on en déduira qu'ils sont égaux. Quant à l'unicité des coefficients $a_{i,j}$, elle découlera de l'unicité de la décomposition d'un vecteur dans une base.
Rappelons que nous avons posé $$E=\left\lbrace\frac{P(X)}{Q(X)}/P\in\mathbb C[X]\text{ et }deg(P)<\!deg(Q)\right\rbrace.$$ Pour simplifier l'écriture notons $d=deg(Q)$. On peut alors réécrire $E$ comme $$\begin{align}E&=\left\lbrace\frac{P(X)}{Q(X)}/P\in\mathbb C[X]\text{ et }deg(P)<\!d\right\rbrace\\ &=\left\lbrace\frac{a_0+a_1X+\dots+a_{d-1}X^{d-1}}{Q(X)}/a_0,a_1,\dots,a_{d-1}\in\mathbb C\right\rbrace\\ &=\left\lbrace a_0\frac{1}{Q(X)}+a_1\frac{X}{Q(X)}+\dots+a_{d-1}\frac{X^{d-1}}{Q(X)}/a_0,a_1,\dots,a_{d-1}\in\mathbb C\right\rbrace\\ &=Vect\left\lbrace \frac{1}{Q(X)},\frac{X}{Q(X)},\dots,\frac{X^{d-1}}{Q(X)}\right\rbrace \end{align}$$
Comme nous sommes parvenu à écrire $E$ sous forme de Vect, nous en déduisons que $E$ est un espace vectoriel et qu'il a pour famille génératrice $\frac{1}{Q(X)},\frac{X}{Q(X)},\dots,\frac{X^{d-1}}{Q(X)}$. Si d'autre part nous parvenons à montrer que cette famille est aussi une famille libre, nous aurons trouvé une base ainsi que la dimension de $E$.
Montrons que $\frac{1}{Q(X)},\frac{X}{Q(X)},\dots,\frac{X^{d-1}}{Q(X)}$ est libre. Soient $\lambda_0,\dots,\lambda_{d-1}\in\mathbb C$, on a : $$\begin{align} &\lambda_0\frac{1}{Q(X)}+\lambda_1\frac{X}{Q(X)}+\dots+\lambda_{d-1}\frac{X^{d-1}}{Q(X)}=0_{\mathbb C(X)}\\ \Longleftrightarrow &\frac{\lambda_0+\lambda_1X+\dots+\lambda_{d-1}X^{d-1}}{Q(X)}=0_{\mathbb C(X)}\\ \Longleftrightarrow &\lambda_0+\lambda_1X+\dots+\lambda_{d-1}X^{d-1}=0_{\mathbb C[X]}\\ \Longleftrightarrow &\lambda_0=\lambda_1=\dots=\lambda_{d-1}=0 \end{align}$$
La famille $\frac{1}{Q(X)},\frac{X}{Q(X)},\dots,\frac{X^{d-1}}{Q(X)}$ est donc libre.
$\frac{1}{Q(X)},\frac{X}{Q(X)},\dots,\frac{X^{d-1}}{Q(X)}$ est libre et génératrice, elle forme alors une base de $E$. La dimension étant par définition le nombre d'éléments d'une base, on en déduit que $$dim(E)=d.$$
Rappelons que nous avons posé : $$F=\left\lbrace\sum_{i=1}^n\sum_{j=1}^{m_i}\frac{a_{i,j}}{(X-\alpha_i)^j}/a_{i,j}\in\mathbb C\right\rbrace,$$ donc en particulier $$\begin{align} F&=\left\lbrace \frac{a_{1,1}}{(X-\alpha_1)}+\dots+ \frac{a_{1,m_1}}{(X-\alpha_1)^{m_1}}+\dots+\frac{a_{n,1}}{(X-\alpha_n)}+\dots+ \frac{a_{n,m_n}}{(X-\alpha_n)^{m_n}}/a_{i,j}\in\mathbb C\right\rbrace\\ &=Vect\left\lbrace \frac{1}{(X-\alpha_1)},\frac{1}{(X-\alpha_1)^2},\dots,\frac{1}{(X-\alpha_1)^{m_1}},\dots,\frac{1}{(X-\alpha_n)},\frac{1}{(X-\alpha_n)^2},\dots,\frac{1}{(X-\alpha_n)^{m_n}}\right\rbrace \end{align}$$
Puisque nous sommes parvenu à écrire $F$ sous forme de Vect, il suit que $F$ est un espace vectoriel et qu'il est engendré par la famille $\left\lbrace \frac{1}{(X-\alpha_1)},\frac{1}{(X-\alpha_1)^2},\dots,\frac{1}{(X-\alpha_1)^{m_1}},\dots,\frac{1}{(X-\alpha_n)},\frac{1}{(X-\alpha_n)^2},\dots,\frac{1}{(X-\alpha_n)^{m_n}}\right\rbrace$. Si d'autre part nous parvenons à montrer que cette famille est libre, nous aurons trouvé une base et nous pourrons en déduire la dimension de $F$.
Montrons que $\left\lbrace \frac{1}{(X-\alpha_1)},\frac{1}{(X-\alpha_1)^2},\dots,\frac{1}{(X-\alpha_1)^{m_1}},\dots,\frac{1}{(X-\alpha_n)},\frac{1}{(X-\alpha_n)^2},\dots,\frac{1}{(X-\alpha_n)^{m_n}}\right\rbrace$ est libre. Soient $a_{i,j}$ des complexes tels que $$\begin{align} &a_{1,1}\frac{1}{(X-\alpha_1)}+a_{1,2}\frac{1}{(X-\alpha_1)^2}+\dots+a_{1,m_1}\frac{1}{(X-\alpha_1)^{m_1}}+\dots\\ &+a_{n,1}\frac{1}{(X-\alpha_n)}+a_{n,2}\frac{1}{(X-\alpha_n)^2}+\dots+a_{n,m_n}\frac{1}{(X-\alpha_n)^{m_n}}=0_{\mathbb C(X)} \end{align}$$ Multiplions cette équation par $(X-\alpha_1)^{m_1}$, nous obtenons $$\begin{align} &a_{1,1}(X-\alpha_1)^{m_1-1}+a_{1,2}(X-\alpha_1)^{m_1-2}+\dots+a_{1,m_1}+\\ &(X-\alpha_1)^{m_1}\left\lbrace \frac{a_{2,1}}{(X-\alpha_2)}\dots+a_{n,1}\frac{1}{(X-\alpha_n)}+a_{n,2}\frac{1}{(X-\alpha_n)^2}+\dot+a_{n,m_n}\frac{1}{(X-\alpha_n)^{m_n}}\right\rbrace=0_{\mathbb C(X)} \end{align}$$ Puis en posant $X=\alpha_1$, on trouve que $a_{1,m_1}=0$.
En remplaçant $a_{1,m_1}$ par sa valeur (c'est-à-dire $0$) dans l'équation initiale, celle-ci devient alors : $$\begin{align} &a_{1,1}\frac{1}{(X-\alpha_1)}+a_{1,2}\frac{1}{(X-\alpha_1)^2}+\dots+a_{1,m_1-1}\frac{1}{(X-\alpha_1)^{m_1-1}}+\dots\\ &+a_{n,1}\frac{1}{(X-\alpha_n)}+a_{n,2}\frac{1}{(X-\alpha_n)^2}+\dots+a_{n,m_n}\frac{1}{(X-\alpha_n)^{m_n}}=0_{\mathbb C(X)} \end{align}$$ En multipliant cette dernière par $(X-\alpha_1)^{m_1-1}$ puis en posant $X=\alpha_1$, on trouve alors que $a_{1,m_1-1}=0$. Et on continue ainsi de suite jusqu'à prouver que $$a_{1,1}=\dots=a_{1,m_1}=0.$$
On poursuit la même méthode pour les racines $\alpha_2,\dots,\alpha_n$ et on prouve alors que tous les $a_{i,j}$ sont nuls. Par conséquent la famille est libre.
Notre famille est libre et génératrice, il s'agit donc d'une base de $F$. La dimension de $F$ est alors le nombre d'éléments constituant cette base, c'est à dire $$dim(F)=m_1+m_2+\dots+m_n.$$ Or nous remarquons également que $$deg(Q)=deg\left(c\prod_{i=1}^n(X-\alpha_i)^{m_i}\right)=m_1+\dots+m_n,$$ par conséquent $$dim(F)=deg(Q).$$ Enfin rappelons que nous avons noté $d=deg(Q)$, donc $$dim(F)=d.$$
Prenons un élément de $F$, il s'écrit de manière générique comme $$ a_{1,1}\frac{1}{(X-\alpha_1)}+\dots+a_{1,m_1}\frac{1}{(X-\alpha_1)^{m_1}}+\dots +a_{n,1}\frac{1}{(X-\alpha_n)}+\dots+a_{n,m_n}\frac{1}{(X-\alpha_n)^{m_n}} $$ Si nous mettons toutes les fractions au même dénominateur $Q$ qui, je vous rappelle a pour expression $Q(X)=c\prod_{i=1}^n(X-\alpha_i)^{m_i}$, nous obtenons alors l'expression : $$\frac{a_{1,1}(X-\alpha_1)^{m_1-1}c\prod_{i=1,i\neq 1}^n(X-\alpha_i)^{m_i}+\dots+a_{1,m_1}c\prod_{i=1,i\neq 1}^n(X-\alpha_i)^{m_i}+\dots+a_{n,m_n}c\prod_{i=1,i\neq n}^n(X-\alpha_i)^{m_i}}{Q(X)}.$$ On remarque alors que dans l'expression ainsi obtenue, le numérateur est un polynôme de degré strictement inférieur à celui de $Q$. Par conséquent c'est un élément de $E$.
Nous venons de prouver que tout élément de $F$ est un élément de $E$ donc $F\subset E$.
Nous avons vu que $E$ et $F$ sont deux espaces vectoriels de même dimension finie $d$ et que $F\subset E$. Par un résultat classique d'algèbre linéaire on en déduit que $E=F$. Par conséquent tout élément de $E$, c'est à dire un élément de la forme $$\frac{P(X)}{Q(X)}\text{ avec }deg(P)<\!deg(Q)$$ est aussi un élément de $F$, c'est à dire un élément de la forme $$\sum_{i=1}^n\sum_{j=1}^{m_i}\frac{a_{i,j}}{(X-\alpha_i)^j}.$$ Enfin comme nous avons vu que $\left\lbrace \frac{1}{(X-\alpha_1)},\frac{1}{(X-\alpha_1)^2},\dots,\frac{1}{(X-\alpha_1)^{m_1}},\dots,\frac{1}{(X-\alpha_n)},\frac{1}{(X-\alpha_n)^2},\dots,\frac{1}{(X-\alpha_n)^{m_n}}\right\rbrace$ est une base de $F$, il suit que la décomposition est unique par unicité de l'écriture d'un vecteur dans une base.
Ce qu'il fallat démontrer!
Les plus courageux d'entre vous pourront adapter cette preuve au cas de la décomposition en éléments simples dans $\mathbb R$.
Si ma démonstration ne vous a pas convaincue ou que vous rechercher d'autres façons de faire, voici une petite liste non exhaustive de démonstrations que vous pouvez trouver sur le net :
Toutes ces démonstrations sont techniques (la mienne y compris!) et demande un certain temps de travail. Ne désepérez donc pas si vous ne parvenez pas à en saisir l'esprit général d'emblée. Bon courage!!
Contacter l'auteur du site : frederic.millet @ math-sup.fr